5 janvier 2016

Réussite et Messages contraignants

Gysa Jaoui, Analyste Transactionnelle, nous présente la boucle de la réussite et fait le lien entre l'injonction "ne réussis pas" avec les messages contraignants : « Sois fort », «Fais effort », «Sois parfait » et «Fais plaisir ». un petit test en ligne

Voici son article :

 D'après mes observations, un des messages inhibiteurs qu'on rencontre le plus souvent en thérapie est l'injonction « Ne réussis pas » et une des difficultés pour aider nos clients à se donner la Permission de réussir, provient sans doute du fait que cette injonction peut prendre des formes différentes.

Un tel, par exemple, accumule des diplômes, exerce une profession prestigieuse, vit une vie de famille qui affiche tous les symboles du succès et traîne un sentiment d'insatisfaction. Ce faisant, il ne se donne pas pleinement la Permission de réussir. Tel autre dés qu'il a atteint un objectif affiché, va s'en détourner et s'en fixer un nouveau, encore plus ambitieux... en dévalorisant l'objectif atteint. Un troisième annonce un projet, reçoit l'encouragement de son groupe et de son thérapeute, en parle avec excitation, commence à le mettre en oeuvre et, après quelques temps,arrive à une séance avec le même enthousiasme, mais à propos d'un autre projet. Questionné sur le premier, il répond : « Ah, celui-là je l'ai laissé tomber, écoutez plutôt ma nouvelle idée... ».

Dans ces trois cas, et dans bien d'autres, on est en droit de parler de la présence d'un message inhibiteur «ne réussis pas ! », bien que ses manifestations, tant au plan comportemental qu'émotionnel, soient très différentes. Il devrait par conséquent en être de même des interventions thérapeutiques destinées à contrecarrer ce message afin que le client intègre la Permission de réussir.


La boucle des réalisations


En fait, si on s'intéresse au processus de réalisation d'un objectif, on pourra mettre en évidence que celui-ci comporte quatre étapes distinctes et que l'inhibition par rapport à la Réussite peut intervenir à chacune d'elles. Il s'agit des quatre étapes suivantes : projet, mise en oeuvre, Réussite et satisfaction pour la Réussite.

Voici comment je les représente graphiquement :



 La boucle, que j'ai appelée «boucle de réalisation », se referme après la satisfaction pour rejoindre un nouveau projet. Tout se passe comme si l'énergie libérée par la Réussite complète d'un objectif dans ses quatre étapes était disponible pour entreprendre un nouveau projet. Le message intrapsychique inhibant la Réussite prend des formes très différentes suivant l'étape de la boucle des réalisations où il intervient. Son traitement est également différent. En fait, j'ai pu remarquer que chacun des quatre messages contraignants suivants : « Sois fort », «Fais effort », «Sois parfait » et «Fais plaisir », et chacune des quatre structures de personnalités correspondantes : le «rêveur éveillé », le «réprobateur », le «bourreau de travail » et l'«hyperréactif » a hérité d'un « Ne réussis pas » bloquant une étape différente de la boucle des réalisations.

Le rêveur éveillé


Le rêveur éveillé n'a pas la Permission de mettre son projet en oeuvre. Il brasse très souvent des rêves, des phantasmes. Il se voit voyageant, réalisant une grande oeuvre, rencontrant la femme (ou l'homme) de sa vie, mais ne se décide pas à se mettre à l'action pour réussir son projet. Il arrive même qu'il n'en parle à personne, se contentant de le rêver éveillé. Quand il vient en thérapie, il ne semble pas avoir d'idée de contrat précis, et lorsqu'on l'interroge un peu plus, on s'aperçoit qu'il veut tout... et rien. En fait, il est rempli d'attentes magiques vis-à-vis de la thérapie et c'est au thérapeute de l'aider à retrouver de l'énergie pour mettre en oeuvre un projet personnel quel qu'il soit.

Ce qui apparaît, c'est que l'injonction «ne réussis pas » a été transmise à ces personnes par la dévalorisation de leurs idées, projets, ambitions – dévalorisation qui a pris la forme de moqueries, de remarques méprisantes, de signes de reconnaissance inconditionnellement négatifs sur eux-mêmes et leur capacité à entreprendre. Blessés devant ces réactions, ils ont décidé de garder leurs projets pour eux, de les rêver et de ne pas prendre le risque de les réaliser. Leur peur est trop grande que leurs parents aient pu avoir raison, que leur dérision et leur certitude qu'ils ne sont pas capables aient pu être justifiées.

Pour les aider à aller à l'encontre de ces messages de sorcière, ils ont besoin du Parent Nourricier du thérapeute et de la confrontation de son Adulte. Dans un premier temps donc, il s'agira de les aider à exprimer leurs ambitions, leurs rêves, en évitant toute critique, toute ironie, toute dérision à
ce sujet. Le thérapeute se montrera sincèrement enthousiaste et émerveillé devant leur projet. Il rassurera l'Enfant de son client en l'aidant à réinvestir de l'énergie positive dans son projet. C'est un travail laborieux au début, car le client redéfinira, sera évasif, utilisera beaucoup de systèmes de communication défectueux et défensifs pour protéger son rêve de la critique. Dans un deuxième temps, le thérapeute aidera son client à confronter son projet à la réalité avec des données Adultes.

Une cliente, qui travaillait comme employée de bureau depuis des années, a fini par me confier après huit mois de thérapie qu'en fait elle rêvait d'être puéricultrice. Je me suis montrée enthousiasmée par cette idée. Je l'ai approuvée et lui ai demandé comment elle allait s'y prendre pour la mettre en oeuvre. Elle a répondu qu'elle l'ignorait mais qu'elle y arriverait. Pendant plusieurs séances, j'ai continué à lui poser des questions précises qu'elle redéfinissait allègrement, cependant que je m'assurais régulièrement qu'être puériculture restait bien son souhait. Je continuais à la soutenir sans réserve sur le fond et à la confronter de façon ferme et Adulte sur les moyens concrets qu'elle se donnait pour le réaliser.

Je l'ai vue petit à petit prendre confiance en elle sur ce point, et passer à l'action en commençant par suivre des cours du soir. Certes, elle n'a pas encore intégré la Permission de réussir, mais pour la première fois, sans doute depuis longtemps, elle est passée de l'étape 1 à l'étape 2 de la
boucle de réalisation en mettant en oeuvre un rêve gardé de longues années dans l'ombre.

Le désapprobateur


Le désapprobateur a un message «Fais effort » et est la grande figure classique de l'injonction «Ne réussis pas ». Il exprime un objectif en général raisonnable, il le met en oeuvre, fait des efforts pour y arriver et, patatras !, le projet se casse la figure. Ou bien il se crispe, transpire, déploie des
efforts démesurés (et avec lui le thérapeute) et y arrive... presque. Ou encore il réalise un autre objet moins ambitieux et est déçu.

Paradoxalement, ces personnes n'ont pas forcément eu des parents qui leur ont dit «N'y arrive pas ». Il s'agit bien plus souvent d'une décision de l'enfant qui dit «Tu vois comme j'essaie » pour résister à la pression parentale vécue comme envahissante. Le parent veut faire faire, l'enfant ne
veut pas, il n'ose pas s'opposer au parent, donc il essaie... mais n'y arrive pas.

Pour s'en sortir et intégrer la Permission de réussir, ces personnes ont besoin d'intégrer que c'est elles-mêmes, d'abord elles-mêmes et avant tout elles-mêmes qui ont intérêt à réussir. Avec eux le thérapeute fuira comme la peste tout contrat portant sur des objectifs de changement comportemental et social. Il leur préférera des objectifs exprimés en terme plus généraux. Ainsi, par rapport à la boucle de réalisation on évitera le piège de l'obstacle entre la 2e et la 3e étape en le contournant soigneusement.

C'était le cas de ce client de structure passive-agressive qui était en deuxième année de sciences économiques, et qui me dit, presque dès la première séance : « Je veux passer le contrat de terminer ma licence ». «Non », lui ai-je répondu, «je ne suis pas d'accord, je ne sais pas si tu
termineras ta licence et j'aime passer des contrats gagnants ; je te propose de passer un contrat pour prendre ici la Permission de penser par toi-même ». Bien sûr, il a répondu par la colère et la frustration, mais je suis restée ferme cette fois-là et à de nombreuses séances suivantes où il essayait de manoeuvrer pour m'amener à être partie prenante dans son système. A chaque fois, sous une forme ou sous une autre, je lui disais que son projet de réussir son examen n'était pas mon affaire, que s'il y arrivait c'était tant mieux pour lui, mais que moi, j'étais prête à l'aider à prendre la Permission de penser, et je le caressais pour sa pensée. Ce qui m'est arrivé de lui dire incidemment au détour d'une transaction, c'est : « Lorsque tu auras ta licence... », prenant cela comme un fait acquis. Cette stratégie l'a aidé à faire complètement sien un projet sur lequel il me sentait et en accord et non investie. Actuellement, il est en année de maîtrise et a rempli les quatre étapes de la boucle de réalisation. Il a obtenu sa licence et a découvert le plaisir qu'il éprouve à penser et à savoir.

Le bourreau de travail


Le bourreau de travail «oublie » la quatrième étape, il réussit ce qu'il entreprend mais ne sait pas être satisfait de sa Réussite et s'assigne un nouveau but dès que le premier est atteint. En général, l'injonction «Ne réussis pas » a été véhiculée par des messages disant en substance : «
Nous n'attendions pas moins de toi ». L'intérêt des parents pour les réalisations de l'enfant est réel, en même temps qu'ils ne manifestent pas vraiment leur satisfaction ou leur encouragement. Seul leur Enfant les réjouit et les stimule pour une nouvelle tâche, mettant toujours la barre plus haut. Souvent la personne devenue adulte a intégré les exigences parentales en même temps que le modèle de l'Adulte et le défi de l'Enfant.

La meilleure parade thérapeutique consiste pour ces personnalités à leur présenter la boucle des réalisations, en leur expliquant le processus en quatre étapes et en leur indiquant la façon dont ils s'empêchent de ressentir la satisfaction devant leur Réussite. Une telle procédure est très éclairante pour leur esprit logique, une sorte de «Bon sang, mais c'est bien sûr ! » intervient alors et leur ouvre la possibilité de se donner la Permission d'être satisfaits de leur Réussite. Le modèle en lui-même fonctionne comme une Permission sous son apparence Adulte. Ces personnes aimant remplir leur tâche jusqu'au bout, prennent d'abord comme objectif le fait de vivre la quatrième étape de la boucle des réalisations, mais leur Enfant a tôt fait de sentir l'aubaine sous l'apparente nécessité d'expérimenter cette étape et ils vivent le soulagement des tensions et le plaisir, inhérents à la Permission de réussir pleinement ce qu'ils entreprennent.

L'hyperréactif


Enfin les hyper-réactifs ont en général la Permission de réussir... à condition qu'ils ne suivent pas un projet vraiment personnel, mais qu'ils adhérent au projet, explicite ou implicite, d'un tiers. C'est comme s'ils prenaient la boucle de réalisation à l'étape 2, qui est l'étape de la mise en oeuvre du projet, en omettant d'élaborer un objectif qui leur soit propre. La combinaison du message contraignant qui les pousse à faire plaisir et du message inhibiteur qui les empêche d'être eux-mêmes, induit une injonction secondaire : « N'aie pas de projet personnel, donc ne sache pas ce que tu veux vraiment mener à bien », ce qui est une forme subtile mais bien réelle de l'injonction «Ne réussis pas ». Cependant, leur complaisance à entrer dans les vues de l'autre, la subtilité de leur Petit Professeur pour devenir ce que l'on attend d'eux, y compris leur thérapeute, et l'apparente Réussite de leurs premiers contrats ou projets sont trompeurs. Ils empêchent parfois de repérer cette injonction. Ce qui nous mettra sur la voie, ce sera la suradaptation, la quête intensive de caresses pour le projet mené à bien, l'insatisfaction rapidement réenclenchée malgré la Réussite. Il s'agit alors de l'insatisfaction en tant que sentiment-parasite, qui est différente de
l'absence de satisfaction du bourreau de travail.

La stratégie thérapeutique est ici un dosage habile de soutien et confrontation. Il s'agit d'aider la personne à gérer la frustration de ne pas recevoir les caresses qu'elle attend pour la Réussite de projets qui ne sont pas les siens et à arriver à la définition de son propre projet. La Permission
à intégrer en priorité pour ce type de personnalités est celle d'être elles mêmes et non celle de réussir. Le contrat-clé est du type «Savoir ce qui est bon pour moi », «Reconnaître mes besoins », etc... Ainsi la cliente hyper-réactive, en thérapie depuis un an, qui avait déjà rempli avec succès un premier contrat : « Accepter mon mari tel qu'il est », puis dans la foulée, un contrat : « Avoir des meilleures relations avec mes collègues ». Elle restituait les résultats très positifs de ses contrats,
évoquant à quel point tout se passait mieux pour elle dans ses relations avec les autres depuis qu'elle les acceptait davantage et n'attendait plus d'eux qu'ils se conforment à ses attentes. Son plaisir était sincèrement exprimé. En même temps, tout son discours non verbal quêtait encouragements et soutien. Les autres membres du groupe les lui prodiguaient abondamment. Je suis intervenue quand elle a dit : «Maintenant je voudrais prendre un autre contrat autour du fait que je suis trop exigeante avec mon fils ; je l'invite tout le temps à se presser, je ne respecte pas son rythme, etc... » Je lui ai demandé si elle comptait ainsi prendre des contrats visant tous les membres de son entourage. Ce stimulus a activé son Adulte et elle a simplement dit : « II serait temps que je m'occupe de moi ! »,

D'une certaine façon, elle se donnait ainsi la Permission de commencer la boucle de réalisation à l'étape 1 et d'avoir un projet personnel à mener à bien.

En guise de conclusion, je voudrais souligner qu'intégrer la Permission de réussir est, comme la thérapie, un processus. Ces quatre étapes de la boucle de réalisation constituent un processus de croissance qui associe pensée, action et sentiment positif. J'ai délibérément ignoré le contenu de
la Réussite : ce qui serait bon, digne ou utile de réussir. Claude Steiner avec ses quatre conditions pour accepter un contrat nous offre un cadre, à mon avis suffisamment protecteur pour qu'à l'intérieur de ce cadre nous puissions nous attacher à aider nos clients à se donner la Permission de réussir ce qu'ils ont envie de réussir, dans le contexte où ils se trouvent, au stade de développement où ils en sont et d'après les valeurs qui sont les leurs, sans y mêler nos propres critères d'appréciation et d'évaluation.

Gysa Jaoui est l’auteur de plusieurs livres d’Analyse Transactionnelle